Centrafrique : Noël de la galère à Bangui
« Je m’appelle Méric, comme les Etats-Unis d’Amérique! C’est pas un joli nom, ça? Mais j’ai pas l’argent pour le Noël de mes enfants » : à Bangui, capitale de la Centrafrique ruinée par trois années de violences et qui s’apprête à voter dans quelques jours, les fêtes de fin d’année s’annoncent moroses.
Nu dans son embarcation, Méric le piroguier termine la brève lessive de ses vêtements en fin de journée, après avoir plongé dans le fleuve Oubangui pour en extraire du sable destiné aux rares constructions dans la capitale délabrée. L’heure semble à la trêve de Noël dans Bangui, après les violences qui l’ont déchirée ces trois dernières années.
Les rues vibrent des caravanes de voitures et de motos des candidats à la présidentielle et aux législatives de dimanche, elles tournent autour du rond-point du Kilomètre zéro, le centre de la ville, au bord de rues encombrées de jouets et de sapins en plastique, made in China. Les jouets, bas de gamme, sont exposés à même la latérite, sur une simple bâche de plastique.
Elvis et Adolphe, commerçants trentenaires, se sont associés pour l’occasion. Citoyens d’un pays enclavé et parmi les plus pauvres du monde, ils étaient partis par la route à la frontière camerounaise « acheter pour 700.000 Francs CFA (1.067 euros) de jouets ».
Ils y sont restés quatre jours, le temps d’acheter, de dédouaner et d’attendre le départ d’un convoi de camions sécurisé par les Casques bleus bangladais de la Mission des Nations unies (Minusca) pour ramener les jouets dans Bangui. Car sans escorte, l’unique grande route qui ravitaille Bangui est trop dangereuse: miliciens anti-balaka, bandits de grand chemin y tendent des embuscades.
Leur unique cliente, accompagnée de son mari muni du portefeuille, soupire: elle voulait acheter une blonde et grande poupée en robe de mariée pour sa fille, « mais 25.000 FCFA (40 euros) c’est vraiment trop cher », alors elle en prend une à 8.000 CFA « qui, avant, coûtait au maximum 5.000 ».
Un ballon de foot coûte 3.000 CFA, un petit piano 4.500, un sapin maigrelet 10.000 CFA. Le sifflet ne coûte que 150 F et, forcément, son prix accessible le rend très populaire. Cela s’entend très fort dans les rues où il rivalise avec les chants de Noël.
Les deux associés, chrétiens, commerçaient avant 2013 dans le quartier musulman PK-5 mais ils en ont été « chassés quand ça a trop bougé », pendant les violences intercommunautaires de ces dernières années. « Ca marche petit à petit, plus on s’éloigne de l’état de guerre, meilleur c’est », explique Adolphe qui, le reste de l’année, vend des denrées alimentaires.
Elvis et Adolphe ont misé sur le marché de nuit de la veille de Noël pour arrondir leurs bénéfices et, s’ils n’écoulent pas leurs stocks de jouets en plastique, ils garderont les invendus pour Noël 2016, une date qu’ils ont l’assurance de voir revenir dans un pays à l’avenir encore bien incertain.
Dans le quartier proche de Lakouanga, au bout des « deux rues goudronnées », mais qui ne le sont plus depuis longtemps, le jeune vendeur ambulant Fiston traverse le petit pont enjambant un canal aux eaux sales pour se diriger vers le bar New Texas.
Il vend des sifflets, des sabres et des poupées, un matériel en plastique que son père a acheté avant de l’envoyer vendre dans la rue, explique-t-il.
La serveuse Jenny, qui n’en est plus visiblement à sa première bière, chantonne « Papa Noël », se fait offrir par un client une poupée pour sa fille, et déclare qu’elle « aime Bozizé », l’ex-président François Bozizé renversé en 2013, empêché de se représenter par la Cour Constitutionnelle.
Une banderole proche, accrochée aux arbres, vante les mérites de Martin Ziguélé, l’un des favoris de la présidentielle.
Lors de ces journées d’élections et de fêtes, « j’irai à la cathédrale pour que Dieu bénisse mon pays, plus d’armes, plus de larmes, un pays en paix et pour que les gens mangent », lance-t-elle.